Qu’est-ce que l’Advaita ?

La respiration, c'est la vie!

Introduction

L’Advaita Vedanta est l’une des écoles les plus influentes et profondes de la philosophie indienne. C’est une doctrine non-dualiste qui affirme l’unité fondamentale de toute existence et l’identité ultime entre l’âme individuelle (Atman) et l’Absolu (Brahman). L’Advaita cherche à transcender les illusions de la dualité et de la séparation pour réaliser la vérité ultime de la non-dualité. Cette philosophie a eu un impact majeur sur la pensée indienne et a inspiré de nombreux sages et saints au fil des siècles.

Origines et développement

Les racines de l’Advaita Vedanta remontent aux anciennes écritures hindoues connues sous le nom d’Upanishads, qui font partie des Vedas. Ces textes explorent la nature de la réalité, du soi et du divin à travers des dialogues profonds et des méditations. On y trouve des affirmations célèbres telles que « Tat Tvam Asi » (Tu es Cela) et « Aham Brahmasmi » (Je suis Brahman), qui pointent vers la vérité non-duelle.

Cependant, c’est avec le grand sage Adi Shankara (788-820 EC) que l’Advaita Vedanta a été systématisé et établi comme une école distincte. Shankara a écrit de nombreux commentaires sur les principales Upanishads, la Bhagavad Gita et les Brahma Sutras, présentant une interprétation non-dualiste cohérente. Il a voyagé à travers l’Inde pour débattre avec d’autres philosophes et établir la suprématie de l’Advaita.

Après Shankara, d’autres grands maîtres comme Sureshvara, Padmapada, Hastamalaka et Totaka ont continué à développer et à propager l’Advaita Vedanta. Plus tard, des figures comme Vidyaranya, Madhusudana Saraswati et Appayya Dikshitar ont apporté de nouvelles perspectives et réfuté les critiques d’autres écoles.

Principes fondamentaux

L’Advaita Vedanta repose sur plusieurs principes clés :

  1. Brahman est la seule réalité : Brahman est l’Absolu, la conscience pure, infinie et immuable qui sous-tend toute existence. Rien n’existe en dehors de Brahman.
  2. Le monde est une apparence : Le monde matériel que nous percevons par nos sens est une illusion (Maya) superposée à Brahman. Il est réel en un sens pratique mais irréel ultimement.
  3. L’Atman est Brahman : L’âme individuelle (Atman) n’est pas différente de l’Absolu (Brahman). La perception d’une distinction est due à l’ignorance (Avidya).
  4. La libération est la réalisation du Soi : Le but ultime de la vie est la libération (Moksha) qui consiste à réaliser directement son identité avec Brahman. Cela met fin au cycle des renaissances.
  5. La connaissance est le moyen de la libération : C’est par la connaissance (Jnana) de sa vraie nature qu’on parvient à la libération, et non par les rituels ou les bonnes actions seules.

Maya et Avidya

Deux concepts clés de l’Advaita sont Maya et Avidya. Maya est le pouvoir d’illusion qui fait apparaître le monde multiple et changeant. Elle n’est ni réelle ni irréelle, mais indescriptible (Anirvachaniya). Sous l’emprise de Maya, Brahman apparaît comme le monde diversifié.

Avidya est l’ignorance qui consiste à s’identifier au corps-mental et à voir de la dualité là où il n’y a qu’unité. C’est la racine de toute souffrance et limitation. Avidya n’a pas de début mais peut prendre fin par la connaissance de son vrai Soi.

L’Advaita enseigne que Maya et Avidya n’affectent pas Brahman en réalité. Elles sont comme un mirage dans le désert, une illusion qui disparaît lorsqu’on en prend conscience. Le monde n’est pas une hallucination, mais il n’a pas d’existence séparée de Brahman.

Le chemin de la connaissance (Jnana Yoga)

Pour l’Advaita, la voie directe vers la libération est le Jnana Yoga, le chemin de la connaissance. Il s’agit d’une enquête approfondie sur la nature du soi et de la réalité, en utilisant le discernement et le raisonnement.

Le processus commence généralement par l’écoute (Shravana) des enseignements d’un maître qualifié (Guru) qui explique la nature du Soi et la différence entre le réel et l’irréel. L’étudiant développe le discernement (Viveka) entre le Soi permanent et les phénomènes transitoires.

Ensuite vient la réflexion (Manana) où l’on intègre intellectuellement ces vérités en utilisant le raisonnement logique pour dissiper les doutes et les objections de l’esprit. On contemple les grandes paroles (Mahavakyas) des Upanishads qui révèlent l’unité du Soi et du Brahman.

Enfin, on s’absorbe dans la méditation profonde (Nididhyasana) sur la vérité non-duelle jusqu’à ce qu’elle devienne une réalisation directe et indubitable. C’est l’expérience de la libération où toute illusion de séparation est transcendée et où ne brille plus que la conscience infinie du Soi.

Ce processus requiert un mental purifié et concentré. C’est pourquoi l’Advaita recommande aussi des pratiques préparatoires comme la dévotion, la méditation, le service désintéressé pour purifier le mental des passions et attachements. Les actions vertueuses sont vues comme un moyen indirect qui prépare à la libération par la connaissance.

**États de conscience et Témoins **

L’Advaita analyse l’expérience en termes de trois états de conscience : l’état de veille (Jagrat), l’état de rêve (Svapna) et le sommeil profond (Sushupti). Dans chacun d’eux, notre sens d’identité et notre perception de la réalité sont différents.

Dans l’état de veille, nous nous identifions à notre corps physique et nous percevons un monde extérieur séparé de nous. Dans l’état de rêve, nous créons un monde intérieur avec notre mental, sans corps physique. Et dans le sommeil profond, il n’y a ni corps, ni mental, ni monde, juste une conscience de béatitude.

L’Advaita dit qu’il existe un quatrième état appelé Turiya, qui est le Soi pur, la conscience-témoin immuable qui illumine les trois autres états. Le but est de réaliser ce Soi qui est au-delà des états changeants, la réalité non-duelle qui est notre vraie nature.

Un autre concept important est le témoin (Sakshi). C’est la conscience pure qui observe tous les phénomènes mentaux et physiques sans être affectée par eux. Les pensées, émotions, sensations apparaissent dans notre expérience mais le Soi les transcende. Même l’ego ou le sens de « Je » est un objet pour la conscience-témoin. Réaliser cela, c’est se libérer de la souffrance et des limitations.

**Ishvara – Dieu dans l’Advaita **

L’Advaita a une conception unique de Dieu ou Ishvara. Ishvara est vu comme Brahman associé à Maya, l’apparence du Seigneur suprême qui crée, maintient et dissout l’univers. Ishvara est omniscient, omnipotent, omniprésent, la somme totale de l’existence.

Cependant, du point de vue absolu, Ishvara est identique à notre Soi véritable. La différence entre Dieu et l’âme individuelle est seulement apparente, due à l’ignorance. En réalité, il n’y a pas de différence entre le Seigneur et notre essence divine.

Ainsi, bien que l’Advaita accepte les pratiques de dévotion (Bhakti) envers Ishvara comme une voie valide, elle les considère comme un moyen et non une fin en soi. La véritable dévotion consiste à se connaître soi-même comme le Soi non-duel, au-delà de toute distinction entre le dévot et le Divin.

Néanmoins, la dévotion peut être un moyen puissant de purifier le mental et de cultiver l’amour et le détachement nécessaires à la libération. Shankara lui-même a composé de nombreux hymnes dévotionnels, montrant que Jnana et Bhakti peuvent se compléter harmonieusement.

Critiques et réponses

L’Advaita Vedanta a fait l’objet de critiques de la part d’autres écoles, en particulier les écoles théistes comme la Dvaita Vedanta qui insistent sur la réalité de la différence entre Dieu, les âmes et le monde. Ils accusent l’Advaita d’être une doctrine bouddhiste déguisée qui nie la réalité du monde et la possibilité d’une relation d’amour avec un Dieu personnel.

Les Advaitins répondent que leur doctrine est fermement basée sur les Écritures Védiques et qu’elle ne nie pas le monde de façon absolue, mais seulement son existence séparée de Brahman. Le monde est réel en tant qu’apparence de Brahman, tout comme les vagues sont réelles en tant qu’eau en mouvement.

Quant à la dévotion, les Advaitins affirment que la véritable dévotion et le véritable amour consistent à voir l’unité entre soi et l’objet d’amour, et non à perpétuer un sens de séparation. L’amour du Soi est l’amour ultime, la source de toute béatitude.

Une autre critique courante est que l’Advaita est une philosophie froide et impersonnelle, détachée des préoccupations du monde. Mais les Advaitins répondent que voir l’unité en tout est la base de la compassion universelle. Réaliser le Soi, c’est embrasser tous les êtres comme soi-même. De plus, de nombreux Advaitins ont été des réformateurs sociaux actifs, œuvrant pour le bien de l’humanité.

Advaita dans le monde moderne

L’Advaita Vedanta a connu un renouveau aux 19e et 20e siècles avec des figures influentes comme Ramakrishna, Vivekananda, Ramana Maharshi et Nisargadatta Maharaj. Ils ont présenté l’Advaita d’une manière accessible et pragmatique, insistant sur son application dans la vie quotidienne.

Vivekananda a joué un rôle clé dans la diffusion de l’Advaita en Occident, le présentant comme une philosophie universelle et rationnelle compatible avec la science moderne. Ramana Maharshi a mis l’accent sur l’enquête directe « Qui suis-je ? », montrant un chemin court vers la réalisation du Soi.

Aujourd’hui, l’Advaita continue d’inspirer de nombreux chercheurs spirituels à travers le monde, attirant par sa profondeur intellectuelle et sa vision non-duelle. Des dialogues fructueux ont lieu entre l’Advaita et d’autres traditions comme le Bouddhisme, le Taoïsme, le Soufisme, la mystique chrétienne.

Certains scientifiques et philosophes voient aussi des convergences entre l’Advaita et les découvertes de la physique quantique, des neurosciences et de la philosophie de l’esprit. La notion d’une conscience fondamentale sous-tendant la réalité trouve des échos dans certaines théories scientifiques.

Cependant, l’Advaita n’est pas qu’une théorie intellectuelle, mais un chemin de transformation intérieure. Sa vérité doit être réalisée par l’expérience directe et non seulement crue. C’est un appel à la connaissance de soi, à transcender l’ego et à embrasser la vie dans son absolue plénitude.

Conclusion

L’Advaita Vedanta est une philosophie profonde et radicale qui invite à un éveil à notre vraie nature non-duelle. Elle affirme l’unité fondamentale de l’existence et l’identité ultime entre l’âme individuelle et l’Absolu. C’est un chemin de connaissance qui utilise le discernement et l’investigation de soi pour percer le voile de l’illusion et réaliser la vérité du Soi.

Bien qu’elle puisse sembler abstrait et difficile, l’Advaita a une portée existentielle immense. Elle promet une libération totale de la souffrance, une paix et une béatitude sans limite. Elle nous invite à embrasser la vie dans sa totalité, à voir la divinité en tout, à aimer sans attente.

L’Advaita n’est pas qu’une croyance, mais une vision à réaliser et à vivre. Elle requiert un engagement sincère, un questionnement honnête et un lâcher-prise courageux. Ce n’est pas un chemin pour tous, mais pour ceux qui sont appelés, elle offre une aventure passionnante de découverte de soi et d’éveil à la vérité ultime.

À notre époque de divisions et de conflits, le message d’unité et d’harmonie de l’Advaita est plus pertinent que jamais. Il nous rappelle notre humanité commune, notre lien intime avec toute vie, notre potentiel illimité. Il nous invite à nous éveiller du rêve de la séparation et à embrasser la réalité infinie de notre être.

Que nous suivions formellement le chemin de l’Advaita ou non, nous pouvons tous bénéficier de sa sagesse en cultivant le discernement, la compassion, le détachement et la connaissance de soi. En fin de compte, l’Advaita n’est pas qu’une philosophie mais un mode de vie intégral, un art de vivre en harmonie avec la vérité de ce que nous sommes. C’est un joyau inestimable de la spiritualité indienne et un cadeau pour l’humanité entière.

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